Interview d’une ancienne élève 2LPE



Interview d’une ancienne élève des classes de 2LPE de Poitiers


« Je suis née sourde profonde, de parents entendants mais de grands-parents sourds.
Petite, je me souviens d’avoir été frustrée, frustrée de ne pouvoir comprendre ce qu’il se disait autours de moi. C’était une vraie frustration, comme l’enfant sourd peut la ressentir confronté au monde entendant, du bruit…

Je suis allée à la maternelle, à l’âge de 2 ans et demi, à Poitiers. J’ai été l’une des premières enfants sourdes des classes de 2LPE.
J’ai été pendant quelques mois la seule sourde dans une structure entendante, car les classes pour enfants sourds venait d’ouvrir (1984) et tous les parents d’enfants sourds n’étaient pas au courant.
J.F Mercurio a été mon premier professeur en maternelle. Il a aussi été un des premiers professeurs sourds. Puis mes parents ont cherché des parents d’enfants sourds sur la région de Poitiers, afin que leurs enfants suivent la classe avec moi, dans le but de constituer une vraie classe d’enfants sourds.
Au fur et à mesure des années, d’autre enfants m’ont rejoins. Au final la section maternelle a compté une dizaine environ d’enfants sourds.
La maternelle pour moi a été un épanouissement : j’apprenais une langue dans laquelle je pouvais tout comprendre.

En primaire, je me rappelle que nous suivons, au même titre que les classes d’enfants sourds de Toulouse, des cours en LSF. Toutes les matières nous étaient transmises en LSF.
Tous mes professeurs étaient sourds. Il n’y avait qu’un professeur entendant, issus du CAPEJS, qui nous donner des cours de français.
Je crois me rappeler que j’ai eu plusieurs professeurs au primaire : un professeur pour une ou deux matières (par exemple, le professeur de français nous enseignait aussi les mathématiques). Le système était déjà un peu le même qu’au collège.
Tout était donc en LSF. Chaque niveau était bien distinct : aucun mélange par exemple entre CP et CE1 ou autre, même si nous étions que deux élèves en CP, puis entre quatre et six dans les autres niveaux.
Au total l’école regroupait environ une vingtaine d’enfants sourds.

Le primaire c’est assez loin pour moi, je n’ai pas trop de souvenirs, par contre je n’ai rien oublié du collège. J’ai vraiment adoré cette période.
En effet cette époque est signe pour moi d’un vrai changement dans ma vie.
Toutes mes années de maternelle et primaire, je les ai passées avec les mêmes personnes, les même amis…Au collège, j’ai rencontré de nouvelles personnes, je me suis faite de nouveaux amis, dont une majorité d’entendants d’ailleurs, avec lesquels je m’entendais très bien.
En ce qui concerne les cours, une interprète assistait le professeur entendant, issu souvent du CAPEJS (collaboration entre les interprètes et les professeurs). Je découvrais de plus en plus de choses et contrairement au primaire, lorsque je posais des questions, on était ici capable de me donner une ou des réponses. (Au primaire, les enseignants n’avaient pour la plupart aucun diplôme, alors qu’au collège tous avaient suivi une formation universitaire).
Les sourds (groupe entier.intégration individuelle) étaient donc intégrer aux classes entendantes. Il n’y a que pour le français, l’anglais et la LSF, que les élèves sourds étaient à part. Et je regrette notamment de n’avoir pu partager ces cours de langues avec mes autres camarades entendants, car cela nous aurait permis, à nous sourds comme aux entendants, d’échanger et de comprendre plus amplement les différences culturelles, historiques… et linguistiques aussi, surtout à l’heure actuelle où moi-même je m’intéresse à la linguistique !
En sixième les effectifs (de ma promotion) étaient de deux (toujours les mêmes élèves), en cinquième, nous étions encore deux, puis cinq en quatrième et trois en troisième. Les effectifs variaient comme au primaire car beaucoup d’enfants venaient puis déménageaient pour aller dans une autre structure…

Au collège, ce fut vraiment la meilleure période : il n’y avait aucun problème de communication entre les entendants (professeurs et élèves) et les sourds. Tout le monde signait, plus ou moins bien évidemment, mais il n’y avait en aucun cas, déni de la surdité.
J’ai donc grandi dans la LSF : depuis que je suis petite je signe, autours de moi, on signe…
Ce fut un vrai épanouissement et une réelle ouverture pour moi de pouvoir signer. Je suis vraiment contente aussi d’avoir (pu) rencontré toutes ces personnes, tellement ouverte d’esprit, que ce soient mes parents, me camarades, mes professeurs…tous m’ont permis d’être moi. Et sans eux je ne sais pas si à mon tour, j’aurais pu m’ouvrir autant qu’à ce jour, et être autant intégrer socialement. Je n’ai jamais eu de problème de communication et je tenais vraiment à remercier ces personnes. Merci, merci de ne pas m’avoir « emprisonner, cloisonner » dans l’oralisme…
A ce jour, je regrette simplement qu’il n’y ait que trois pôles en France qui permette d’apporter à l’enfant sourd, ce regard et cette ouverture d’esprit… »

Fanny Limousin.
Etudiante en DEA Sciences du langage, mention LSF, Université Paris 8
(Recherches en acquisition du langage chez l’enfant sourd)


Interviewée par LEROY Elise ;
DIDACTIQUE DE LA LSF, Fondement pédagogique dans l’éducation de l’enfant sourd, 12 Juillet 2005. Sous la direction de Mr Christian CUXAC
UNIVERSITE PARIS VIII Année 2004-2005, SAT Sciences du langage, DEA Linguistique, Mention Langue des Signes