Les Suédois sont-ils fous ?

Langue des Signes en Europe
L'exemple Suédois


Compte-rendu d'un voyage d'études en Suède par une délégation belge

Les Suédois sont-ils fous ? Benoît Drion


La Suède est sans doute le seul pays au monde où l'éducation des enfants sourds est réellement bilingue, à l'échelle du pays tout entier. Un bilinguisme de l'école maternelle à l'Université, qui consiste à faire, à tous les points de vue, EXACTEMENT l'inverse par rapport à ce qui se fait en Belgique. Les suédois sont-ils vraiment fous ?



Madame Desclée, responsable de l'APEDAF de Tournai, m'a demandé voici quelques semaines, de faire un exposé sur le modèle éducatif suédois pour les enfants sourds. J'avais effectivement eu l'occasion, quelques semaines plus tôt, de participer à un voyage organisé de longue date par monsieur et madame Zegers de Beyl, parents d'une jeune fille sourde. C'est donc grâce à eux, que j'ai pu voir comment un pays tout entier, s'est mis à l'écoute des meilleurs experts en surdité : les Sourds eux-mêmes. Moi qui ne suis ni père d'enfant sourd, ni professionnellement impliqué dans l'éducation des enfants sourds, il m'avait semblé important de commencer mon témoignage, en expliquant le cheminement qui m'a amené à rencontrer le monde des Sourds, il y a maintenant sept ans. Toutes ces petites aventures qui me sont arrivées, comme à tous ceux qui rencontrent des Sourds pour la première fois, sont effectivement très révélatrices de la manière dont notre société appréhende la surdité. Lors de cet exposé, il m'a fallu près d'une heure pour raconter tout cela avec les nuances qui m'ont permis, je l'espère, de faire partager mon étonnement, mon incrédulité, mon intérêt ou mon admiration. C'est trop long et je ne peux pas le faire ici. C'était une heure nécessaire aussi, pour prendre un certain recul par rapport aux préoccupations quotidienne de parents d'enfants sourds, accaparés par la charge journalière qui est la leur, depuis qu'un jour, un médecin leur a dit que leur enfant était sourd.

Le moment du diagnostic

Il m'est difficile d'imaginer la charge d'émotion que représente l'annonce de la surdité d'un enfant à ses parents, alors ignorants en ce domaine. Comme médecin, je n'ai jamais du annoncer ce diagnostic à des parents. Mais je dois régulièrement annoncer des diagnostics pénibles à des patients et je sais que ces moments sont marqués à jamais dans leur mémoire. Je sais que les mots prononcés ou les intonations utilisées, sont mémorisés avec une terrible précision. Je sais que ces patients peuvent tout oublier, même les examens pénibles qu'ils ont du subir, mais qu'ils n'oublieront jamais ce moment de l'annonce d'un diagnostic qu'on voudrait ne pas entendre. Si je m'attarde un peu sur ce moment, c'est parce que je crois que c'est à cet instant là, très précisément, que commence la différence entre la manière dont la Suède et la Belgique appréhendent la surdité.
Là-bas, le Sourd (avec S majuscule) est d'emblée présenté par les médecins qui posent le diagnostic, comme appartenant à une minorité culturelle, dont la langue naturelle est la Langue des Signes. Ici, le sourd (avec s minuscule) est présenté comme un individu à l'audition déficiente, qu'on va tenter de corriger. Dès l'annonce du diagnostic, les professionnels suédois et belges ne voient pas le mot " sourd " de la même manière. Car, si pour des professionnels entendants, les mots " Sourd " et " sourd ", se prononcent de la même manière, ceux que ces mots définissent ou qualifient, y voient bien autre chose.

Un peu d'histoire

Pour comprendre le modèle suédois et la philosophie radicalement différente qui l'anime, par rapport au modèle belge, on ne peut faire l'économie d'un bref rappel historique. Depuis l'Antiquité, partout où des communautés de Sourds se sont formées, sont nées des Langues des Signes. Le génie de l'Abbé de l'Epée (1712-1789), n'est pas d'avoir inventé la Langue des Signes, mais d'être le premier à s'en être servi pour enseigner à des enfants sourds. Les méthodes pédagogiques qui découlent de l'entrée de la Langue des Signes dans les écoles pour Sourds ont essaimé partout dans le monde. La Langue des Signes de France (LSF) a été exporté aux Etats-Unis, où aujourd'hui encore, l'American Sign Langage (ASL), partage de nombreux signes communs avec la LSF. A la fin du 18ème siècle, les médecins ont commencé à s'occuper des Sourds. On ose à peine aujourd'hui, évoquer les traitements inventés par le docteur Jean-Marc Itard (1775-1838) ou ses successeurs. Avec ces médecins, d'un problème de communication, le problème des Sourds en a été réduit à un problème d'oreille. Et peu à peu, on a assisté à une médicalisation de la surdité. C'est assez logiquement qu'en 1880, le fameux Congrès de Milan a condamné la Langue des Signes, " considérant que l'usage simultané de la parole et des signes a l'inconvénient de nuire à la parole, à la lecture sur les lèvres et à la précision des idées claires, le Congrès a décidé que la méthode orale pure devait être préférée ". L'influence du Congrès de Milan semble avoir été d'autant plus forte qu'on se trouve au centre de l'Europe. C'est ainsi que ce congrès a moins profondément influencé les pays du nord de l'Europe ou les Etats-Unis. Et ce n'est pas par hasard que ce soit à Washington, que se trouve l'Université Gallaudet, la seule université où tous les cours se donnent en Langue des Signes.

Démonstration par l'absurde

Dans nos pays d'Europe centrale, la Langue des Signes a vraiment été combattue par les professionnels de la surdité, desquels, depuis le Congrès de Milan, on a exclu les Sourds. On nous dit aujourd'hui qu'il est normal qu'il n'y ait pas de professeurs sourds, puisqu'il n'y a presque pas de Sourds diplômés. Il y a pourtant eu en Belgique de célèbres professeurs sourds. C'était avant qu'on y interdise la Langue des Signes. Il est assez symptomatique que ce soit dans les pays, où le Congrès de Milan a eu l'influence la plus forte, qu'il y a aujourd'hui, le moins de Sourds diplômés. N'est-ce pas là, une preuve par l'absurde, qu'un Sourd privé de Langue des Signes est handicapé dans son accès à la connaissance ? En Belgique, les Sourds porteurs d'un diplôme d'études supérieures sont très rares. Aux Etats-Unis ou en Suède, des Sourds sont professeurs d'Université et les Sourds diplômés sont nombreux. Chez nous, la condamnation de la Langue des Signes a été très loin. Jusqu'il y a un peu plus de vingt ans, elle a été dissimulée aux parents d'enfants sourds par les professionnels de la surdité. Cela peut paraître incroyable aux jeunes parents d'aujourd'hui, mais on pouvait être parent d'enfant sourd il y a vingt ans, et rencontrer des professionnels de la surdité de manière régulière, sans que jamais on n'envisage que la Langue des Signes puisse faire partie de l'enseignement d'un enfant sourd. Et j'en arrive finalement à la Suède, car c'est à l'époque, où il y avait encore en Belgique cette sorte de conspiration du silence autour de la Langue des Signes, que le parlement Suédois reconnaissait la Langue des Signes comme étant la première langue de l'enfant sourd. Un vote qui ne faisait qu'officialiser le choix d'un véritable bilinguisme dans l'éducation de l'enfant sourd.

Un vote historique

Ce vote n'est bien sûr pas tombé du ciel. Il a été acquis après des années de lutte de la Communauté des Sourds alliés aux associations de parents d'enfants sourds. Voici quelques dates symboliquement importantes de la lutte des Sourds suédois. Des dates qu'il est sans doute cruel de donner, tellement elles nous montrent le retard accumulé en Belgique.
1947 : Reconnaissance d'une vingtaine d'interprètes en LS (proclamation royale) pour certaines procédures légales.
1968 : Vote du Parlement en faveur de la création des premiers services d'interprètes en LS. Accès gratuit.
1972 : Création d'un département de recherche en LS à l'Université de Stockholm
1981 : Le parlement Suédois reconnaît la LS comme étant la première langue de l'enfant sourd, le suédois leur étant enseigné comme seconde langue.
1990 : La Suède est le premier pays à ouvrir une chaire de LS à l'Université.
1991 : Les lycéens entendants peuvent choisir la LS comme seconde langue (200 h).
On remarquera, et c'est très important, que la Langue des Signes est reconnue comme une langue nationale et qu'elle est enseignée à l'Université. Aujourd'hui en Belgique, bien que la Langue des Signes ne soit plus interdite, le seul modèle éducatif proposé est un modèle radicalement oraliste dans sa philosophie. Certains professionnels belges parlent aujourd'hui d'un retour excessif du balancier vers la Langue des Signes. Comment ce retour pourrait-il être excessif, alors qu'aujourd'hui encore, pas un seul enfant sourd belge ne bénéficie d'un enseignement dans cette langue ? Ce n'est pas d'un retour du balancier qu'il s'agit, mais de deux conceptions radicalement différentes de la surdité.

Deux conceptions radicalement différentes

On a vu comment, depuis le congrès de Milan, l'emprise d'une pensée médicale et curative n'a cessé de croître en matière d'éducation des enfants sourds, tout en leur déniant le droit d'exister comme minorité culturelle. L'évolution historique qu'a connue la Suède depuis une trentaine d'année, fait que nous avons maintenant à deux heures d'avion de Bruxelles, un pays de 8.500.000 habitants, d'une superficie 15 fois plus grande que la Belgique, où l'on fait, avec les 10.000 Sourds du pays, exactement l'inverse de ce que l'on fait ici pour eux. Le tableau ci-dessous résume ces différences. Il caricature nécessairement un peu la situation et aucune des colonnes ne représente exactement ce qui se fait dans un pays ou dans l'autre. Chacun des points nous montre pourtant vers quoi on tend d'un côté comme de l'autre. La colonne de gauche étant ce vers quoi tend le discours des professionnels belges, celle de droite, étant ce vers quoi tend le discours des professionnels suédois.




Voyons maintenant comment les choses se passent-elles concrètement en Suède ?

Les interprètes en Langue des Signes

Dans un système d'éducation bilingue, les interprètes ont évidemment un rôle tout à fait fondamental et il n'est pas étonnant que leur niveau de formation soit élevé. Au lycée, les élèves entendants qui se destinent à une carrière sociale ont déjà la possibilité de choisir la Langue des Signes comme seconde langue. Et lorsqu'ils entrent dans une école supérieure, on exige déjà d'eux un niveau de connaissance minimum en Langue des Signes. La formation de base en Langue des Signes dure deux ans, suivie d'une période de deux annés supplémentaires pour recevoir un diplôme d'interprète de base (pour toutes les activités de la vie courante). Les élèves qui souhaitent devenir interprète à l'Université sont d'abord sélectionnés (niveau d'exigence très strict) et reçoivent ensuite une formation additionnelle de deux ans. Il y a actuellement 30 étudiants en formation à ce niveau. Ces cours sont organisés dans ce que les suédois appellent des " Folk High School ". C'est dans ces mêmes écoles que sont formés ceux (Sourds ou entendants) qui se destinent au métier de professeur pour Sourds. Cette proximité permet une vie commune et des liens fréquents entre Sourds, futurs professeurs et futurs interprètes. Il y a actuellement 300 interprètes reconnus en Suède, qui se repartissent 200 équivalents temps-plein. Les services d'interprètes assurent une permanence 24h/24. Dans les grandes villes, un interprète est généralement disponible ¸ heure après l'appel, ailleurs on essaye que le délai ne dépasse pas une heure. Les associations de Sourds de Suède estiment qu'il faudrait un total de 1000 interprètes pour couvrir tous les besoins. Ces associations estiment que minimum 100.000 personnes dépendent étroitement et régulièrement de la Langue des Signes (sourds, parents, éducateurs, interprètes, professeurs, travailleurs sociaux,...), et que 700.000 personnes ont besoin de la Langue des Signes à l'un ou l'autre moment. Plus étonnant encore, il existe en Suède des interprètes pour les 600 sourds-aveugles du pays. Un diplôme d'interprète pour sourds-aveugles existe pour les Sourds (une année de cours). Comment cela peut-il se passer ? Lorsque des sourds-aveugles assistent à une conférence donnée par un entendant, le discours en Suédois est traduit en Langue des Signes par un premier interprète. Un Sourd est assis à côté de chaque sourd-aveugle et lui ré-interprète dans les mains... Cela peut paraître invraisemblable et pourtant, c'est à deux heures d'ici... On imagine mal, en Belgique, un groupe de sourds-aveugles assister à une conférence !

Professeurs pour Sourds

Contrairement à ce qui se passe chez nous, il est évidemment exclu en Suède, qu'un professeur se retrouve face à des élèves sourds, sans avoir reçu une formation spécifique. Pour devenir professeur au niveau de l'école primaire, il faut quatre années d'études. Théoriquement, les professeurs entendants doivent au préalable travailler au moins cinq ans dans une école avec des enfants entendants. Et il existe une formation spécifique de deux ans pour enseigner à des enfants sourds. Les professeurs entendants doivent bien entendu connaître la Langue des Signes (six mois de formation universitaire à plein temps). Les professeurs sourds qui connaissent bien sûr la Langue des Signes (c'est leur première langue), reçoivent encore trois semestres de cours de Langue des Signes et deux semestres de cours de Suédois. Tout cela bien sûr, en plus de leur formation de base comme instituteur. Il existe actuellement trente professeurs sourds, qui ont une reconnaissance académique. Pour d'autres, il existe des mesures transitoires.

Parents d'enfants sourds

Dès l'annonce du diagnostic, l'apprentissage de la Langue des Signes par les parents entendants est favorisé et encouragé. Il leur est possible de recevoir un financement de l'état pour interrompre leur travail pendant six mois et apprendre la Langue des Signes de manière intensive. Alors qu'on l'interrogeait sur la réalité de la connaissance de la Langue des Signes par les parents d'enfants sourds suédois, la responsable de l'association de parents a répondu qu'elle n'avait " jamais vu des parents d'enfant sourd qui ne signent pas "... La Suède a évidemment atteint un niveau d'acceptation de la différence qui laisse rêveur ici en Belgique. Une autre maman d'enfant sourd nous a dit " quand le diagnostic de surdité de mon fils a été posé, toute la rue a commencé à suivre des cours de Langue des Signes "... C'est peut-être la seule rue de Suède..., mais c'est quand même assez révélateur d'un état d'esprit. Les parents sont très rapidement mis en contact avec des adultes sourds qui les aident à faire leurs premiers pas dans leur communauté.

Ecoles pour Sourds

Toute la scolarité des enfants se fait dans des écoles pour sourds. Le séquençage des études est différent en Suède de ce qu'il est chez nous, c'est pourquoi je préciserai l'âge des enfants dont il s'agit.
Il existe des école préparatoires en Langue des Signes, pour les enfants de 2 à 6 ans dans de nombreuses villes de Suède. La géographie du pays oblige parfois ces enfants à faire de longs trajets en taxi (frais pris en charge par l'Etat). La plupart des instituteurs y sont sourds; ce qui favorise bien entendu un bain linguistique très précoce.
Au niveau primaire (7 à 14 ans), il existe cinq écoles pour Sourds réparties dans le pays. Dans ces écoles, 60% des professeurs sont entendants et 40% sont des Sourds. Les professeurs entendants qui n'ont pas acquis un niveau de maîtrise suffisant en Langue des Signes sont accompagnés d'un interprète. Les enfants sont généralement internes pendant la semaine (longues distances). Mais de nombreuses familles déménagent en fait dans une ville où il y a une école adaptée à leur enfant. Tout l'enseignement se fait en Langue des Signes. Les enfants ont 20 minutes de logopédie par semaine. Si les parents le souhaitent, il est possible d'en avoir plus pendant les heures d'école. Le but de ces séances de logopédie, tel qu'il nous a été décrit, est de permettre aux enfants d'avoir une voix.
Au niveau secondaire (15-19 ans) (appelé Gymnase), il n'existe qu'une seule école en Suède, localisée à Örebro. Presque tous les Sourds passent par là. Il y ont autant de possibilités d'études que les entendants. Tout l'enseignement se donne en Langue des Signes, soit le professeur connaît la Langue des Signes, soit il est accompagné d'un interprète.

Örebro, la ville des Sourds

De nombreuses familles d'enfants sourds déménagent pour se rapprocher d'Örebro, de sorte que cette ville est peu à peu devenue une ville où le nombre de Sourds est très élevé. Rien que la population scolaire représente actuellement 430 élèves, répartis dans trois écoles différentes. Au niveau primaire, il y a 80 professeurs, dont 15 Sourds. Au niveau secondaire, il y a 40 professeurs, dont 4 Sourds. Les enfants viennent à Örebro en taxi ou en bus s'ils n'habitent pas trop loin. Les plus petits, dont les parents habitent loin, vivent avec des adultes sourds dans des villas (familles d'accueil). Les plus grands vivent en internats pendant la semaine.
Langue des Signes, Suédois signé, LPC,...
La Loi suédoise prévoyant que la Langue des Signes est la première langue de l'enfant sourd, leur enseignement doit comporter un minimum de 1300 heures de cours de Langue des Signes répartis sur dix ans. Ceci constitue une différence fondamentale par rapport à toutes sortes d'initiatives dites bilingues, où l'enfant sourd, même s'il bénéficie d'un interprète en Langue des Signes, n'a jamais appris cette langue formellement, pas plus qu'il n'a bénéficié d'un bain linguistique en Langue des Signes. Ce qui a pour conséquence que dans le système belge, l'interprète utilise en définitive une langue que l'enfant sourd lui-même ne maîtrise pas bien. En Suède, en revanche, plus l'enfant grandit, plus la proportion d'heures de cours de Langue des Signes qu'il reçoit augmente. Ce qui fait de ces jeunes sourds, d'excellent signeurs. En Suède, le LPC n'est pas utilisé du tout. Quant au Suédois signé, qui a été utilisé il y a une quinzaine d'année, il n'est plus utilisé du tout. Lorsqu'on interroge de jeunes sourds sur ce qu'ils pensent du suédois signé, il est intéressant d'écouter ce qu'ils répondent. Leurs réponses sont effectivement révélatrices de la différence entre ces deux modalités de communication. Du Suédois signé, un élève dit " c'est endormant parce qu'il faut attendre le contenu ", un autre dit " c'est OK au début, mais après un certain temps, cela vous fait aller hors de votre pensée ".

Et après ?

A la sortie du Gymnase, pratiquement tous les élèves savent lire et écrire correctement. Lorsque des Sourds passent un examen de Suédois appris en seconde langue (comme les immigrants entendants, qui apprennent le Suédois en seconde langue), ils obtiennent des résultats équivalents. Les Sourds ont un accès effectif à l'Université, le niveau de leurs écoles le leur permettant. De plus, la Langue des Signes étant reconnue officiellement, les Universités suédoises sont obligées de fournir des interprètes à tous les étudiants sourds qui le demandent. Enfin, il nous a été dit que le taux de chômage était le même parmi les Sourds que parmi les entendants.

Les malentendants

Chaque année, environ 200 Sourds ou malentendants naissent en Suède. Parmi eux, 60 sont Sourds et presque tous vont à l'école des Sourds. 140 sont considérés comme malentendants et la majorité d'entre eux vont à l'école avec des entendants (intégration dans des écoles d'entendants). Il est intéressant de noter qu'un bon nombre de malentendants se réorientent par la suite vers des écoles pour Sourds. Il existe des Lycées pour malentendants, mais l'enseignement y est oral et la Langue des Signes n'y est pas utilisée. La connaissance de la Langue des Signes par ces jeunes, non initiés précocement, est dès lors inférieure à celle des Sourds. Aussi, bien qu'ils aient le droit d'avoir un interprète pour faire des études supérieures, ils ont plus de difficultés que les Sourds. De sorte qu'actuellement, alors qu'ils sont nettement moins nombreux dans le pays, il y a plus de Sourds que de malentendants à l'Université. Une situation totalement inverse à celle de notre pays, où les Sourds profonds qui réussissent effectivement à l'Université sont rarissimes.

Conclusion

Voilà donc à deux heures d'avion de Bruxelles, un système d'éducation des enfants sourds, à tous les points de vue, inverse par rapport à ce qui se fait en Belgique. Pour toute une série de raisons culturelles, ce modèle n'est certainement pas transposable tel quel dans notre pays. Il devrait à tout le moins, amener à relativiser le discours officiel qui y est tenu. A ce jour, contrairement à ce qui se passe en France, il n'existe toujours aucune possibilité pour un enfant sourd belge, de faire des études en Langue des Signes. Aucune école belge ni aucun réseau d'enseignement ne proposent une éducation bilingue. Faut-il le dire, le fait que la Langue des Signes soit parfois ponctuellement utilisée en Belgique, n'a évidemment rien à voir avec une éducation bilingue. S'il fallait résumer le virage à 180° dont ont bénéficié les Sourds suédois il y a une vingtaine d'année par une seule phrase, on pourrait dire que ce pays a troqué le concept de rééducation du sourd en vigueur chez nous, pour celui, d'éducation de l'enfant sourd. D'un côté, la rééducation vise à faire parler (logopédie,...) et entendre (prothèse, implant cochléaire,...) une langue qui passe par les modalités audio-phonologiques des entendants, forcément déficientes chez le Sourds. Alors que de l'autre, l'éducation de l'enfant sourd se fait dans une langue qui passe par des modalités visuo-gestuelles dans lesquelles il excelle : la Langue des Signes; le suédois étant enseigné comme seconde langue.
Les suédois sont peut-être moins fous qu'ils en ont l'air. Alors qu'ici, il arrive encore que des professionnels laissent entendre aux parents que " si l'enfant signe, il risque de ne plus faire l'effort de parler ", le modèle éducatif suédois, autorise l'enfant à s'exprimer dans la seule langue qui lui permet d'allier parole et plaisir, la seule langue avec laquelle il puisse jouer, la seule langue qui lui permet de mettre pleinement son imaginaire à la portée du réel. Le grand poète Pablo Neruda, s'interrogeant sur sa condition de poète, écrivait : " Peut-être n'ai-je pas vécu en mon propre corps; peut-être ai-je vécu la vie des autres. " L'originalité du système suédois, c'est peut-être simplement de laisser l'enfant sourd vivre dans son propre corps. C'est peut-être, au lieu de le traiter comme un entendant qui n'entend pas, de lui donner la liberté de vivre sa vie de Sourd.